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La vie au bureau : des dessous pas toujours chics...
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4 novembre 2006

la rumeur au travail

Septembre 2002

Sans être naïve, je pensais que mon retour dans mon grand établissement public après quelques années passées en détachement*  dans une grande école se ferait naturellement une fois l'entretien passé avec mon nouveau chef de service. Sauf que cela ne s'est pas passé du tout comme je l'avais envisagé : trois mois sans bureau, à faire le coucou sur le PC des uns et des autres et une hostilité de l'équipe que je ne connaissais pas à faire peur. J'avais oublié que la rumeur avait fait son trou !

En février 1982, j'étais adjoint administratif et je travaillais dans le service de documentation depuis dix ans. En mai 1993, après le décès de la responsable (secrétaire administratif) le chef du département de la communication d'alors m'a confié la responsabilité du service. J'avais quarante ans. J'ai alors beaucoup travaillé à sa modernisation - nouveaux locaux, nouveau mobilier, informatisation du catalogue de bibliothèque, ... -. En juin 1994, un jeune homme bien comme il faut, titulaire d'une maîtrise de paléonthologie et frais émoulu de la fac, est bientôt venu rejoindre le service ; puis il a passé un concours de catégorie C (niveau exécution dans la fonction publique) afin de devenir fonctionnaire. Nous avons donc fait tandem jusqu'au moment où j'ai ressenti que le poste ne lui suffisait plus et qu'il brûlait d'envie de prendre ma place. Les problèmes ont commencé : du café pris en apparté avec ma nouvelle chef de département - quand je rentrais dans la pièce, j'étais dévisagée d'un air goguenard et la conversation s'arrêtait -, jusqu'à ce que quelques collègues bien intentionnées, dont une particulièrement douée pour l'intrigue, en arrivent à ne plus me demander quoique ce soit. J'avais eu le tort de lui demander de garer son vélo ailleurs que dans les rayonnages de la bibliothèque (ouverte au public externe), de ne pas laisser les bouteilles de jus de fruit allongées par terre goulot vide dépasser de son bureau, etc ...

J'ai fini par réaliser que je ne ferais pas le poids devant une hiérarchie déterminée à me faire partir pour placer un jeune diplômé à ma place. Tous les subterfuges ont été utilisés, tous les leviers actionnés : ma chef de département m'avait demandé de former mon collègue : ce que j'ai fait sans hésitation puisque j'avais bénéficié de conseils et de formation prodigués par des collègues rencontrés auparavant. Sauf que je n'avais pas pensé qu'un jour je serais devenue inutile et qu'une fois l'affaiblissement visible (pbs de sommeil, d'épuisement à cause de prouver qu'on est encore valable), j'irais dans le sens que ce petit monde voulait. La rumeur courait déjà les couloirs : je maltraitais mon collègue !

Autant dire que je ne m'en suis jamais vraiment remise : oui j'ai râlé maladroitement, mais quand on est pas un stratège, on va droit au but ; on ne passe pas de temps à échafauder une tactique pour abattre les gens autour de vous. On se dit que c'est normal, que c'est un jeune qui veut monter et qui montre les dents mais que ça va passer. On se dit qu'après tout l'investissement, l'énergie qu'on a mis à moderniser et à faire vivre une bibliothèque pour qu'elle soit un bénéfice pour tous ne peuvent être que reconnus et appréciés. Qu'on me laissera un peu de temps pour profiter un peu du succès. Et que peut-être, un jour, qui sait, j'aurais la reconnaissance par un passage au choix dans le grade supérieur... puisque je n'avais pas eu le temps de passer les concours.

Je sais, je vous entends déjà : quelle naïveté ! Mais je croyais à ce qu'on m'avait appris : le travail est un jour reconnu et récompensé. Je suis issue d'un milieu modeste, où on a tous beaucoup travaillé pour accéder à une vie meilleure. Alors l'enfer a duré près de dix-huit mois pour rester sur mon poste tant que je n'en avais pas trouvé un autre qui me convenait. Le mal de ventre tous les jours, l'envie de vomir, des règles à n'en plus finir qui me laissaient épuisée et vidée d'énergie. Les lettres de motivation restaient sans réponse et je ne voyais plus comment sortir de cette situation. Un ménisque défaillant m'a finalement donné l'occasion de rester à la maison trois semaines pendant lesquelles j'ai essayé de me reconstruire. Deux jours avant de reprendre le travail, j'ai pris mon courage à deux mains : je suis allée dans cette grande école et j'ai demandé à rencontrer un responsable des ressources humaines. J'ai été accueillie avec tant de gentillesse que j'en aurais pleuré ! oui un poste serait probablement disponible dans les six mois à la bibliothèque mais il fallait que je rencontre la DRH et le directeur du service. Gonflée à bloc d'optimisme, j'ai repris rendez-vous et les entretiens se sont si bien passés que j'ai eu le poste. "Pistonnée" ai-je entendu dire dans mon service. Non, c'est l'espoir et l'énergie de la vie tout simplement !

Puis j'ai reçu de mon ex-établissement dont je dépendais toujours ma note et mon relevé de situation : j'étais toujours adjoint administratif 2ème classe. Alors la colère est enfin arrivée. La colère est parfois salutaire mais il faut savoir qu'elle peut transformer les personnes qui ne sont pas dotées d'agressivité naturelle : blocage de la parole, perte de confiance dans les autres, dépression, ... J'ai écrit à la DRH de mon établissement pour refuser cette note, pour lui raconter les faits et lui déclarer mon intention de me pourvoir en justice. Entre-temps, j'avais demandé de l'aide psychothérapeute afin de ne pas m'effondrer : je n'arrivais pas oublier qu'on avait fait courir la rumeur que j'avais maltraité mon collègue.

Puis j'ai passé un concours de Chargé d'études documentaires (catégorie A de la fonction publique) : j'ai été reçue à l'écrit ; quelle joie ! l'oral a été catastrophique mais sans surprise : sauf à avoir un ego indéfaillible, comment répondre à la question "voulez-vous encadrer une équipe", "en avez-vous eu déjà l'expérience" ; non seulement j'avais le souvenir de cette lamentable affaire, mais en plus je savais d'expérience qu'un personnel de catégorie C est perçu le plus souvent par la hiérarchie comme forcément limité !

Alors j'ai passé le concours de catégorie B de mon établissement d'origine : reçue à l'écrit, j'apprends juste avant de passer l'oral que je suis prise au choix dans le corps des secrétaires administratifs. Il faut savoir qu'il y a très peu de place et que ceux qui passent au choix sont en principe méritants.

J'ai donc cherché un poste de cette catégorie dans ma bibliothèque, puis dans la grande école : tous les postes avaient déjà été pourvus (on était au mois de juin). Pour valider cette promotion, je devais occuper un poste de B. J'ai dû revenir dans mon établissement d'origine et j'ai postulé sur un poste dont personne ne voulait : documentaliste juridique. J'avais des notions de droit mais insuffisantes pour le poste ; mon nouveau chef de service m'a donné ma chance ; j'ai beaucoup travaillé pour être efficace et je pense pouvoir dire aujourd'hui, quatre ans après, que j'y suis arrivée. Il n'y a pas de répit à l'effort, c'est le côté sympa du boulot : pas le temps de s'ennuyer, tout y est intéressant. Mais revenons en septembre 2002 : mon nouveau chef de service m'avait prévenu qu'il ne serait pas là le jour de mon arrivée. L'accueil a été glacial, je n'avais pas de bureau pour m'installer ni de poste informatique et je n'étais manifestement pas attendue. Un jour que j'étais sur un poste informatique libre dans un bureau où deux juristes étaient installés, un troisième est venu discuter à propos de documentation et d'archives juridiques. Connaissant bien la maison et le travail d'une de mes collègues incriminées, et vu qu'il s'agissait du domaine de mes activités, je me suis autorisée à prendre la parole. A peine ouvert la bouche, le juriste (42 ans) tendait le bras vers moi avec la paume de la main vers mon visage en m'assènant "attention, pas de ça ici" et d'autres phrases du même acabit ; j'ai cru défaillir ! Il faut aussi imaginer l'ambiance pendant les repas pris à la cantine... Quant au café du matin (la cafetière est située dans le bureau d'un cadre), j'ai vite compris que je n'étais pas la bienvenue : dès que je rentrais dans la pièce la conversation s'arrêtait, les regards montaient et descendaient puis la conversation reprenait à voix basse. J'aurais compris s'il s'agissait d'un café entre cadres. Mais un de mes collègues, du même grade que moi y avait accès.

Pendant quatre ans et jusqu'à maintenant, ces juristes ne m'adressent pour ainsi dire que très peu la parole. Qu'ai-je fait, ou pas fait, pour qu'ils manifestent autant d'hostilité ou de distance ? Récemment, un collègue arrivé depuis peu, qui partage mon bureau et bien en vue du groupe de juristes, me l'a rappelé : je "répétais la même situation qu'à la Documentation générale" : c'est donc que la rumeur n'est pas morte et qu'elle est alimentée par des personnes qui sont manifestement moins occupées par leur travail qu'à entretenir le lien "social" dans cette entreprise où le dénigrement est un moyen de communication parmi d'autres.

Qu'est devenu le jeune homme ? aux dernières nouvelles, après avoir enfin eu la satisfaction de placer sur son CV "responsable de la documentation", puis quelques problèmes jusqu'au plus haut niveau de la direction (il y a bien dû y avoir une raison, rumeur, dis-moi...) il sévit quelque part dans les montagnes...


* un fonctionnaire peut se faire "détacher" c'est à dire occuper un emploi dans une autre administration tout en gardant son ancienneté, son traitement ou salaire, ses primes)

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